Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Parfois (souvent) perdue...
11 janvier 2012

La relève des anesthésistes

Je l’ai dit dans un billet précédent, mon accouchement a été un traumatisme, à la fois physique et moral, et j’ai eu (j’ai encore) du mal à m’en remettre.

Et même au moment où j’écris cet article, j’éprouve une certaine honte à l’avouer, comme si c’était une faiblesse de dire ça, comme si j’avais peur qu’on me trouve faible alors que toutes les mères passent par là.

Donc bon, je vais essayer de passer outre cette honte et de raconter mes sentiments comme je les ai ressentis, et tant pis si quelqu’un me juge !

Ma première pensée quand Pikpuce est sortie de mon ventre et que la sage femme m’a dit « ouvrez-les yeux, regardez votre bébé ! », ça a été :

« Plus jamais ça ! »

 

(…bon là c’est sûr que c’est un peu violent comme premier aveu…)

 

Mais oui, c’est ce que j’ai pensé. Ça y est c’est fini, bébé est sorti, plus jamais de ma vie je ne referai ce parcours là, plus jamais je n’aurai mal comme ça. Bien-sûr après quelques minutes j’ai regardé ma fille et plein d’autres pensées merveilleuses me sont venues, mais ce n’est pas le sujet de ce post.

Alors, oui, un accouchement c’est douloureux. Ça, je le savais, on me l’avait dit, j’avais suivi les cours de préparation et de sophrologie tout ça tout ça. Mais non, ça a fait beaucoup, beaucoup, beaucoup plus mal que ce que j’avais imaginé…

Je n’ai pas forcément envie de raconter ma vie en détail, mais, pour faire court, l’accouchement a été déclenché. Il paraît que les accouchements déclenchés sont plus douloureux : moi je n’en sais rien c’était mon premier.

Donc voilà : déclenchement vers 2h du matin, les contractions sont arrivées très vite et toutes les minutes pendant toute la nuit. Mais la douleur était gérable : j’avais suffisamment mal pour ne pas pouvoir dormir et pour devoir chercher une position où j’étais bien (assise sur le ballon, allongée sur le dos, les jambes pliées, à quatre pattes, coté droit, coté gauche, et on recommence !) mais ça allait.

A 7h, après un énième contrôle : col toujours à 3 cm. Bon, on attend encore. Mon mari m’appelle pour savoir où j’en suis : « Tu peux aller au boulot chéri, il y en a encore pour un bout de temps ! »

7h15 : rupture de la poche. Un bruit qui m’a paru énorme, j’ai eu l’impression d’entendre un ballon qui éclate (ce qui est finalement à peu près le cas). Toute surprise je sens le liquide chaud me couler sur les jambes, et puis tout de suite après : ah d’accord, c’est ça une contraction ??! Mon estomac n’a pas supporté et s’est vidé d’un coup. Le temps de reprendre mon souffle, j’appelle la sage-femme.

« J’ai perdu les eaux. Et pis j’ai vomi aussi, je suis désolée »

« Ah, vous avez pas pu prendre le bassin pour vomir ? »

Non c***sse, j’ai pas pu prendre le bassin !  Tu crois que ça m’a fait plaisir de me vomir dessus parce que j’étais tordue de douleur ? Alors oui y’en a par terre et sur le lit, mais là j’ai mal à en crever alors je m’en contrefous !

« Non, je suis désolée… »

« Bon, je vais nettoyer tout ça »

Pendant qu’elle va faire sa lessive, je continue à m’étonner de l’intensité de la douleur : c’est dingue d’avoir si mal, comment c’est possible de ressentir ça ?

Je reprends mes esprits assez longtemps pour appeler le papa. Je tombe sur le répondeur et je laisse un message qui me semble très clair et d’une voix très calme.

Je raccroche, pour m’accrocher immédiatement à la potence qui pend au dessus de mon lit. Mais faut que ça s’arrête là, c’est pas possible, je peux pas supporter ça !

Le téléphone sonne : «  Allo, j’ai rien compris à ton message.  Tu me disais quoi ?»

Là je crois que je baragouine un truc, j’arrive à dire « demi-tour », mais je pense que même s’il n’a rien entendu, il a compris d’après ma voix. Je raccroche avant de lui hurler dans les oreilles.

Je rappelle la sage-femme.

« Il me faut un truc là, pour la douleur, c’est pas supportable … »

S’il vous plait s’il vous plait s’il vous plait je vous en supplie faites quelque chose !!

« Ok, je vais voir l’anesthésiste »

Elle ressort, et moi j’arrache les fils du monitoring. J’essaye de trouver une position plus agréable, je n’y arrive pas. Je me retiens de crier, je me dis que ça ne se fait pas.

Elle revient après ce qui me semble être des heures : « C’est la relève des anesthésistes là, il est 8 h,  il sera là d’ici un quart d’heure. »

«  Ah ? D’accord… »

« Je reviens dans pas longtemps »

Ok, calme toi, calme toi, faut bien qu’ils prennent le temps d’arriver les anesthésistes… J’en peux plus ! Je suis en sueur, je m’étonne d’être capable de transpirer autant. A un moment je me dis que j’emm****** les gens qui peuvent m’entendre  et je me mets à hurler. Les contractions reviennent trop rapidement, je n’ai pas le temps de souffler, j’ai mal en permanence. Je crie des insanités en me tordant dans tous les sens. J’essaye de penser aux cours de sophrologie, mais je suis incapable de respirer, je veux que ça s’arrête…

J’entends mon mari à l’interphone du bloc : « Oui, c’est M. FuturPapa, je viens voir ma femme… ». Je suis à quatre pattes sur le lit, je me dis qu’il faut que je fasse un effort pour me remettre dans le bon sens pour quand il rentrera, pour ne pas crier, pour qu’il ne me voit pas comme ça. Je n’y arrive pas, je n’ai pas la force. Quand il ouvre la porte je suis en train d’hurler, je ne le regarde pas, mais j’imagine qu’il a dû avoir un peu peur.

Il essaye de me calmer, mais il est un peu démuni. Il me dit de penser à respirer, ça m’aide. Je crois que j’arrive à faire un sourire, ou en tout cas j’en ai l’intention. Je regarde la sage-femme, qui me dit qu’il faut attendre pour la péridurale, l’anesthésiste n’est toujours pas là.

Mon mari voit la détresse qui m’envahit. Il tente de me rassurer. Il me demande d’être forte et d’attendre encore quelques minutes. Sur les conseils de la sage-femme, je vais prendre une douche. Ou plutôt je me traine jusqu’à la douche, en arrachant ma chemise, je cours presque pour rentabiliser les quelques secondes dont je dispose entre deux contractions. Le papa reste en dehors de la salle de bain, comme s’il voulait respecter encore un peu mon intimité. Moi c’est le dernier de mes soucis. La douleur reprend de plus belle, je m’accroche à la barre de la douche, en me demandant si elle est assez solide. Je crie et j’en profite pour hurler « j’ai pas de serviette ! ». J’entends la sage-femme donner un drap à mon mari pour m’essuyer. Je n’arrive plus à respirer, il m’essuie tant bien que mal, je vois du sang par terre. Je halète et le montre à la sage-femme.

« Y’a plus le temps là, il faut aller en salle de travail ! »

Je suis super contente d’entendre ces mots : enfin, ça va se finir. Je me dirige vers la sortie, vers la salle de l’autre coté du couloir. La sage-femme me court après avec ma chemise de nuit :

« Attendez, couvrez-vous quand même ! »

Ah, oui, c’est vrai, je suis toute nue.

Arrivée dans la salle d’accouchement, je me précipite sur le lit où je me remets à quatre pattes. J’essaye de respirer, mais je n’y arrive pas. La sage-femme me demande si je veux accoucher dans cette position. Je n’arrive pas à réfléchir. Je veux juste que ça s’arrête. Je me retourne sur le dos, instinctivement, j’arriverai mieux à pousser comme ça. Je mets mes jambes en l’air, mais les étriers ne sont pas là.

« Attendez, pas encore ! »

J’ai mal, je crie qu’il faut que je pousse.

La sage-femme donne un masque d’oxygène (ou de je ne sais pas quoi) à mon mari :

« Donnez lui ça au moment des contractions, il faut qu’elle respire et il ne faut pas qu’elle pousse »

Je pense qu’il est soulagé : il a enfin un rôle à jouer. Il met le masque sur ma bouche, je n’arrive pas à respirer, j’ai toujours aussi mal. Il insiste, finalement je prends du gaz : la douleur s’éloigne, enfin ! Quel bonheur. Je me calme quelques secondes, les étriers sont enfin montés, je peux poser mes jambes. Les sages-femmes s’agitent, je crois qu’elles sont un peu prises de court.

Je regarde mon mari, je lui dis :

« On va avoir un bébé ! »

Il a l’air inquiet. Moi ça va, je n’ai plus mal. Mais la douleur revient tout de suite, fulgurante. Je demande le masque, vite, vite ! Je voudrais qu’il me le laisse en permanence, mais il me l’enlève, je ne comprends pas pourquoi. Je crie que j’ai envie de faire caca. La sage-femme me répond que c’est normal mais qu’il faut que j’attende encore avant de pousser. Je réclame encore le masque, on dirait une droguée en manque !

Enfin elle me dit de prendre une grande inspiration, de bloquer ma respiration et de pousser. Je crie, elle me dit de fermer la bouche pour avoir plus de force. L’autre sage-femme m’encourage, mon mari aussi. Je me repose deux secondes et ça recommence. Je sens la main de la sage-femme qui essaye de faire de la place pour que bébé puisse passer, ça fait mal, mais je veux juste que ce soit fini. Ca dure, ça dure, je ferme les yeux pour pousser encore plus fort.  Puis j’entends :

« Ouvrez les yeux, votre bébé est en train de sortir ! »

Et oui, je vois une petite tête toute rouge, avec plein de cheveux, entre mes jambes. La petite tête crie.  Ça y est c’est fini…

On me pose le bébé sur le ventre, la sage-femme demande au papa s’il veut couper le cordon. Je le regarde. Quand je lui avais posé la question, des semaines auparavant, il n’avait pas su me répondre. Il dit oui, et il coupe.

Je lui demande :

« Alors, qu’est-ce que c’est ? »

La sage-femme répond presque, mais elle se retient au dernier moment. A la place elle dit à mon mari :

« Tenez, regardez », en soulevant la jambe du bébé.

« C’est une petite fille ! »

Il est 8h24, Pikpuce est née.

 

 

Ce billet n’est pas fini, car je voulais parler du traumatisme et de la douleur, mais je fais une pause car je viens de me rendre compte que j’ai raconté le déroulement de mon accouchement d’une traite, sans réfléchir, et que ce que je ressens à ce moment précis, c’est une grande émotion. Je crois qu’enfin cette « expérience » s’est transformée en un souvenir, où la place de la douleur et de la souffrance est de plus en plus petite par rapport à la joie de découvrir mon enfant.

Il aura fallu que j’écrive ce texte pour m’en rendre compte. Je crois que le traumatisme est passé.

 

Mais effectivement tout n’est pas fini après la naissance du bébé. Ensuite il y a la délivrance, la sage-femme qui m’appuie sur le ventre, ça fait mal, très mal. Et ça dure longtemps. Puis elle me recoud : j’ai été déchirée devant et derrière, jusqu’à l’anus. Une nouvelle douleur, plus pointue celle-là. Et elle continue à appuyer sur mon ventre pour voir s’il n’y a pas d’hémorragie. J’en ai marre, je voudrais juste qu’on me laisse tranquille.

Finalement on arrête de m’embêter, mais dès le lendemain je me rends compte que j’ai mal partout. Je ne peux pas me mettre assise à cause des points, mon coccyx s’est déplacé et je souffre dès que je me lève. Puis viendront les seins gonflés et les crevasses. Et ensuite le mal de dos, à force de porter bébé et de se tenir tordue. Bref…

 

J’ai revécu mon accouchement de nombreuses fois en cauchemar. Ce qui a été le plus dur pour moi c’est d’avoir été submergée par la douleur, de ne pas avoir réussi à la contrôler, de m’être laissée emporter. Bien-sûr je me doutais que ce serait l’expérience la plus douloureuse de ma vie, mais je pensais que, puisqu’on prend des cours pour respirer, pour maîtriser cette douleur, alors ça devait être faisable. Il devait être possible de ne pas souffrir à ce point-là. Mais je n’ai pas réussi. Finalement, c’est un peu comme si j’avais loupé un examen : j’ai échoué dans le contrôle de la souffrance. C’est peut-être pour ça que je ressens cette honte à en parler.

 

Quoiqu’il en soit, pendant ma grossesse je me posais la question de la péridurale : peut-être qu’accoucher sans me permettrait de mieux sentir et vivre ce moment. Aujourd’hui c’est sûr : pour le prochain je veux une piqûre !

Mais encore faudra-t-il que je ne tombe pas pendant la relève des anesthésistes…

Publicité
Publicité
Commentaires
Parfois (souvent) perdue...
Publicité
Archives
Publicité